Libertarian Kids

jeudi 16 mars 2006

Sociologie des forums politiques

Il existe deux types de forums politiques selon la taille de ces forums et la cohésion idéologique qu’il y règne. On peut d’ailleurs considérer que les facteurs sont souvent liés : l’importance du nombre de forumeurs ayant couramment pour corollaire l’existence de conceptions politiques fort différentes.

On pourrait distinguer un premier type de forum, qui se caractérise par un nombre conséquent de participants et qui induit la cohabitation de différents paradigmes idéologiques. Ce type de forum n’est généralement pas propice à la discussion et à l’échange constructif précisément parce que l’existence de paradigmes opposés ne jette pas les bases d’un dialogue, mais plutôt celles de l’invective ou de l’argumentation superficielle. Quant bien même, l’argumentation d’une des parties serait fort pertinente, il est bien rare d’observer l’émergence d’un paradigme dominant. Pour qu’un débat soit constructif, il faut au contraire qu’il y ait un objet à ce débat et que les individus ne soient pas organisés selon des schémas groupaux, puisque ces derniers substituent à l’échange sincère la joute rhétorique.

Ainsi, on ne saurait envisager un débat fructueux sans l’existence d’un paradigme de pensée dominant : pour pouvoir discuter avec des individus, encore faut-il avoir une base commune, un ensemble de convictions et de principes qu’il s’agit de questionner. S’il cohabite, au contraire, des systèmes idéologiques opposés, le débat se mue en simple affrontement, en simple proclamation d’une hiérarchie de valeurs, ce qui ne permet ni d’étudier les dynamiques des différents systèmes ni de saisir la substance profonde des différents propos. Il ne faut pas s’y tromper : sur les forums généralistes, il n’existe pas une telle base commune et concrète à partir de laquelle discuter, puisque le dénominateur commun des individus consiste uniquement dans le « respect » et la tolérance des idées d’autrui. Cette conception prescrit simplement les règles du débat et non pas son contenu : ceci est un cadre de procédures et non un socle auquel chacun peut se rattacher.

Puisque le débat est presque par essence infructueux sur le premier type de forums, on pourrait penser trouver la solution dans des forums plus restreints, plus spécialisés, avec un public plus restreint et doté d’un paradigme dominant. Bref, sur des forums thématiques. Or, de mon point de vue, tel n’est pas le cas. En effet, l’existence d’un paradigme dominant dote une telle structure d’une identité, qui doit être maintenue car elle constitue sa raison d’être. Ainsi, ce type de forum est fort utile en tant que source d’information, précisément parce qu’il est spécialisé. Quant aux débats, par principe, leur cadre est limité : on peut désormais discuter d’un objet précis en termes approfondis ; néanmoins, la nécessité absolue de conserver une majorité de forumeurs acquis à l’idéologie dominante induit un certain nombre de processus, qui permettent d’excommunier l’opposant ou le prétendu opposant.

Sur ces forums, la pensée de groupe existe à deux niveaux : premièrement, vis-à-vis d’un extérieur hostile, deuxièmement, vis-à-vis des autres sous-divisions idéologiques du forum. Il est donc nécessaire dans ces petites structures qu’il existe une cohérence du noyau dur, notamment sous forme de relations d’amitiés ou sociales : à l’inverse d’un forum généraliste, ce noyau dur est crucial et ne peut fluctuer de manière importante puisque les « piliers » constituent, sont garants de l’essence du forum et permettent donc de disposer d’un niveau plus approfondi de discussion.

Il est ainsi facile de voir qu’il existe sur ces forums un processus d’acceptation progressive des individus, qui subissent tests et sont jugés selon leur conformité au paradigme idéologique. Une expérience facile à mener consiste à comparer les réactions à deux discours critiques proches – voire identiques – selon qu’ils viennent d’un membre établi ou d’un nouvel arrivant : le premier sera considéré a priori comme digne d’intérêt, le second excommunié ou source de suspicions. On perçoit ici que la recherche de la vérité ou le débat constructif n’est pas à proprement parler le but de telles formes de forums : si les individus y sont incités à développer leurs facultés dans un contexte prétendument protecteur vis-à-vis des influences néfastes extérieures, ce discours n’est souvent que de façade.

On en arrive ici à ce qui constitue le mécanisme le plus notable de défense sociale vis-à-vis de l’hérésie idéologique : si le nouveau membre est de facto excommunié, le membre établi – s’il adopte un discours critique – est incité à revenir dans le droit chemin soit par des arguments d’autorité, des propos outranciers l’assimilant au groupe honni, des appels à l’amitié ou à la sympathie ou pour finir, des arguments de pure forme (orthographe, style d’écriture). Si ce dernier persiste dans son propos, il est du devoir des individus-clé du forum de le considérer comme extérieur à lui : ce qui était auparavant conçu comme un mécanisme de défense et une menace devient effective, l’individu est puni, il est banni du groupe dominant. Son statut change alors : ses propos sont plus dignes d’intérêt quelque soit leur pertinence dans l’absolu : il ne s’agit plus de réfléchir, mais de juger, de qualifier l’individu en question, et in fine de développer des arguments psychologiques.

Ce mécanisme, qui permet de conserver la pureté idéologie d’un forum, est d’autant plus actif que la spécificité idéologique du forum est accrue : ce n’est que parce qu’on n’a pas déjà été habitué à cohabiter avec des tendances idéologiques différentes que l’on peut adopter une attitude sectaire. Néanmoins, il est à noter que cette convergence idéologique recèle en elle-même ses limites : sans divergence, il n’y a pas de débat, et la présence sur un forum est totalement inutile. Ceci implique que les individus présents sur un forum recherchent d’autant plus la différenciation et donc l’opposition argumentée que leurs positions idéologiques sont proches : les distinctions se font de plus en plus sur des détails insignifiants. C’est d’ailleurs cette tendance, qui réduit comme peau de chagrin le groupe, qui implique un dogmatisme intransigeant et une intolérance vis-à-vis des moindres écarts.

A ce propos, Jean-Pierre Dupuy signale dans L’enfer des choses :

Or, jamais on n’a consacré tant d’efforts à se distinguer les uns des autres, tout en jugeant insupportable le moindre signe de distinction chez le voisin. Les préposés à la recherche des inégalités sociales en découvrent de nouvelles tous les jours – les dernières en date portent sur la capacité de résistance au soleil et à une nourriture abondante –, tandis que des divisions arbitraires se creusent entre des groupes parfaitement identiques, qui se fascinent d’autant plus qu’ils s’inventent les raisons les plus dérisoirement abstraites pour s’excommunier les uns les autres. Il n’y a pire rivalité que celle des frères ennemis. Blanc Bonnet et Bonnet Blanc sont toujours convaincus que tout les oppose et qu’ils n’ont rien de commun.

Nous voyons ici tout le drame des forums politiques, et d’ailleurs plus généralement de tout forum de débat, qui touche de manière intime soit à nos vies propres, soit à notre conception du monde (religion, morale, etc.) : d’un coté, l’existence de paradigmes différents empêche l’existence d’un débat productif, d’un autre coté, la tentative d’unification de ses paradigmes entraîne une instrumentalisation de la vérité et un dogmatisme, qui reflète d’autant plus la pensée de groupe.

Je ne suis pas loin de conclure à la complète inutilité des forums politiques en matière de débat, puisque le seul avantage que je leur reconnais, s’ils sont thématiques, est de permettre de disposer d’une base d’information et de documentation développée. Cet état de fait est d’ailleurs lié à la formation de groupes, phénomène qui pollue le débat, puisque les individus prennent alors également en compte le regard et l'appréciation d'autrui et non plus simplement la recherche de la vérité. Il n’est pas étonnant de retrouver sur Internet le même problème que lors des discussions politiques dans la vie réelle, qui, à plus de deux, tournent souvent au café du commerce !

Aucune des remarques précédentes n’a une portée argumentative dans un débat idéologique, il s’agit uniquement de constatations personnelles sur ce qui conditionne les débats sur un forum politique. Je ne suis bien entendu pas personnellement exempt moi-même de ces travers. Bien entendu, toute ressemblance avec des faits ou des personnes existant ou ayant existé serait purement fortuite.

mardi 27 décembre 2005

Modélisation, recherche de la cohérence et découvertes

Je tiens ici à exprimer quelques remarques sur les limites et les risques de la modélisation dans les sciences, et en particulier, dans les sciences sociales. Le but de la modélisation est la production d’une représentation simplifiée d’un objet d’étude, de manière à pouvoir le penser dans un cadre théorique. La recherche de la cohérence du modèle en est donc un corollaire relativement évident : puisque chaque fait a des propriétés propres et ne peut être lui-même ainsi que son contraire, nous ne pouvons concevoir une réalité contradictoire, nous devons donc la figurer par un modèle possédant le même type de propriété de non-contradiction.

Il existe néanmoins plusieurs manières de produire cette cohérence : ou bien par la négation d’un certain nombre de faits, et donc par modélisation d’une réalité assez amputée pour être conçue comme disposant de propriétés assez simples et uniformes, ou bien par l’élaboration d’un modèle suffisamment puissant pour pouvoir distinguer selon différentes hypothèses des états où ne s’appliquent pas les mêmes règles. En pratique, le modèle global qui figure de manière la plus approfondie la réalité est l’agrégation sous différentes conditions de modèles plus simples. Autrement dit, l’ensemble des modèles atomiques forme une partition du modèle global – c’est-à-dire que chaque modèle atomique s’applique sous des hypothèses déterminées, qui ne se confondent pas avec celle d’un autre modèle atomique, et l’union de tous ces modèles atomiques forment le modèle global.

Une citation exprime très bien le premier type de démarche, qui rappelle fortement celui de certaines idéologies politiques qui seraient fort bien mieux inactives :

Si les faits ne correspondent pas à la théorie, changez les faits. (Albert Einstein)

L’exemple type de la seconde démarche est sûrement celui de l’« intégration » de la mécanique classique à la théorie de la relativité générale, en signalant que la mécanique classique n’était plus valable pour des vitesses de déplacement des corps proches de la célérité, mais que la mécanique newtonienne reste néanmoins un cas particulier de la théorie d’Einstein pour des vitesses faibles de déplacement des corps.

Ce qui m’amène à une conclusion d’étape somme toute assez évidente, qui est de remarquer que tout modèle est perfectible, et qu’il ne représente jamais toute la réalité. Ainsi, il me semble que la préoccupation principale dans les sciences sociales ne devrait pas être la recherche absolue de la cohérence des modèles, encore moins par l’élimination des faits gênants, mais, au contraire, la recherche de ce qui peut expliquer les contradictions a priori. C’est par ce mouvement qu’il est possible d’unifier les deux types de contradictions relatives aux modèles, à savoir la contradiction inhérente au modèle et la contradiction entre le modèle et la réalité, puisque la mauvaise résolution de l’une entraîne l’autre. En effet, dans le cas où une contradiction inhérente au modèle est résolue de manière imprécise, soit par l’élimination d’un type de raisonnement, soit par une attribution erronée d’hypothèses, on observe alors des contradictions entre le modèle et la réalité des faits, et vice-versa.

La foi du savant ne ressemble pas à celle que les orthodoxes puisent dans le besoin de certitude. Il ne faut pas croire que l'amour de la vérité se confonde avec celui de la certitude... Non, la foi du savant ressemblerait plutôt à la foi inquiète de l'hérétique, à celle qui cherche toujours et n'est jamais satisfaite. (Henri Poincaré)

Ceci me permet d’exprimer mon désarroi croissant face à une certaine tendance à rechercher absolument la cohérence, en considérant que le modèle doit absolument éliminer toute incohérence, puisque ce qui fait progresser notre compréhension de la réalité naît de l’incohérence, de l’un ou l’autre type de contradiction ! Imaginer que nous pourrions construire un modèle dans lequel il n’y aurait plus aucune contradiction revient à considérer que nous aurions absolument tout exploré d’un sujet, que nous serions arrivés à une sorte d’« ataraxie » dans la connaissance – ce qui me semble sinon impossible, du moins fort présomptueux.

Whenever a theory appears to you as the only possible one, take this as a sign that you have neither understood the theory nor the problem which it was intended to solve. (Karl R. Popper, Objective Knowledge : An Evolutionary Approach, 1972)

Ceci me permet donc d’arriver à mon ultime remarque qui concerne la production de nouveaux concepts, de nouvelles explications puis finalement de nouveaux modèles. Cette production est, selon ce que je viens d’écrire, ce qui m’apparaît comme le plus essentiel dans la recherche des sciences (sociales) et de la philosophie politique. Or, il existe un argument supplémentaire à l’encontre d’une volonté d’une modélisation finale et définitive en ce domaine. Un tel modèle considéré comme finalement abouti a pour unique but d’ordonner les connaissances déjà accumulées selon un schéma cohérent pour en affirmer la véracité, mais n’est aucunement tournée vers la découverte de nouvelles approches.

Tel est, par exemple le cas de la praxélogie de Ludwig von Mises, qui reconstruit à partir d’une base axiomatique (et donc d’une manière synthétique et déductive) l’ensemble de connaissances valables en économie à son époque. Ceci est un formidable test pour affermir les connaissances, mais il reste tout à fait muet sur ce qui n’a pas été encore découvert, et ce ne peut être dans un tel cadre synthétique que ces nouvelles explications peuvent être découvertes – mais par l’observation factuelle et l’intuition.

Mieux vaut alors savoir que nous percevons la réalité à travers un certain modèle et que nous devons nous en écarter parfois pour comprendre ce que nous ne comprenons pas encore, et qui est mis en évidence par certaines contradictions. Ceci cependant peut être désagréable, mais n’est-ce pas à ceci que l’on reconnaît l’honnêteté intellectuelle, à la capacité d’avouer que nous pouvons avoir tord ?

Il n'est qu'une erreur et qu'un crime : vouloir enfermer la diversité du monde dans des doctrines et des systèmes. (Stefan Zweig, Montaigne)

mardi 21 juin 2005

L'esprit et la responsabilité

Ce post s'inscrit dans mes réflexions plus ou moins profondes à propos de l'esprit, du déterminisme et du hasard.

Le déterminisme postule que les pensées ou les actions de l'homme sont préalablement calculables ; en quelque sorte, l'Univers apparaît comme un programme exécutant mathématiquement une suite d'équations. Cette vision des choses induit que la connaissance globale et exacte de l'Univers en un instant T permet de déduire l'instant T-1 ou T+1. L'homme apparaît donc comme une machine, un "système d'entrée-sortie", qui, pour établir une analogie avec l'informatique, en recevant un ensemble de variables passées en paramètre, retourne une valeur. Dans ce cadre, l'homme apparaît comme irresponsable, car, pour paraphraser Spinoza, il n'a pas voulu ce qu'il veut[1]

La vision contraire au déterminisme postule quant à elle que l'homme dispose d'un libre-arbitre, dans le sens où ce qu'il fait n'est pas calculable à l'avance : il existe une part de hasard dans l'action humaine. Cette part de hasard rendrait, selon les tenants de cette vision, l'homme naturellement responsable de ses actes car elles ne résulteraient pas de causes premières, lesquelles sont de facto hors de la portée de l'homme agissant.

Cette théorie semble cependant bâtie sur un principe curieux : en quoi le fait d'être déterminé par un facteur indéterminé rend-il plus responsable que d'être déterminé par un facteur constant ? En réalité, l'indéterminisme - tel que nous l'avons présenté - ne rejette pas le déterminisme ; au contraire, il le reconnait implicitement ; la seule différence avec la posture déterministe "classique" réside uniquement dans le fait que les facteurs qui déterminent l'homme peuvent être imprévisibles. En conséquence, je distingue mal ce qui pourrait fonder nécessairement la responsabilité de l'être humain sur de telles bases.

La question sous-jacente au problème posé n'est en fait pas exactement la bonne. Fonder la responsabilité de l'homme sur son imprévisibilité revient à considérer que l'homme est extérieur à l'univers[2], qu'une partie de sa pensée échappe complètement aux règles de celui-ci. Cette théorie est pour ainsi dire incompréhensible : non-déterminée - puisque, nous l'avons précédemment vu, reconnaître que nous sommes déterminés par des facteurs prévisibles ou imprévisibles exclue toute possibilité de fonder naturellement la responsabilité de l'être humain -, la pensée de l'homme réagi pourtant en fonction de la réalité - ce qui tend à prouver, au contraire, un certain déterminisme - ; nous pouvons donc dire que cette vision du libre-arbitre et de l'homme en général repose sur un mystère, quelque chose qui, à la manière de Dieu, du fait qu'elle soit extérieure aux règles et aux principes régissant notre univers, échappe de manière totale à l'entendement humain.

La doctrine jusnaturaliste fonde pourtant la responsabilité humaine sur cette vision du libre-arbitre, inexplicable rationnellement, incompréhensible d'un point de vue humain, mystérieuse et surtout spéculative. Fonder une discipline qui se veut scientifique sur un acte de foi, sur des croyances, des approximations ainsi que sur de l'irrationnel paraît quelque peu incohérent. La capacité apparente que nous avons à demeurer maître de nos choix nous fait instinctivement[3] penser que nous sommes naturellement et logiquement responsables de nos actes ; en réalité, la responsabilité individuelle est fondée sur l'utilité ; nous sommes considérés comme responsables non pas par l'existence d'un principe supérieur échappant à notre raison mais au contraire par la réalité de la vie en société, impossible et inenvisageable sans la reconnaissance de la responsabilité de l'individu.

Notes

[1] "Les hommes se trompent en ce qu'ils pensent être libres et cette opinion consiste en cela seul qu'ils sont conscients de leurs actions, et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés." Baruch Spinoza, L'Ethique, Livre II

[2] Ce qui nous fait, au passage, implicitement reconnaître la réalité de Dieu

[3] Entre autre par nos valeurs, nos principes propres à nôtre culture qui nous ont été transmis

jeudi 9 juin 2005

Fédéralisme européen

Je ne tiens pas à faire une analyse approfondie de ce que représente l’intégration économique et politique qui a lieu depuis une cinquantaine d’années, je tiens juste à jeter ici une idée qui m’est venue en écoutant et en regardant la campagne concernant la ratification du Traité Constitutionnel Européen.

Je me disais que simplement, les libéraux avaient pour leur part de grands progrès à gagner dans la perspective fédéraliste qui semble animer une partie des politiques français – si ce n’est des Français eux-même. Pourquoi donc ? Parce que j’estime que le fédéralisme porte en lui-même une dimension nécessairement, et par nature libérale.

En effet, il ne me semble pas avoir vu un seul pays, fonctionnant sur le fédéralisme, permettre que s’instaure une harmonisation fiscale importante entre ses Etats fédérés – je pense notamment aux impôts sur les sociétés au Delaware, qui ne sont pas sensiblement les mêmes que dans le reste des Etats-Unis –, je n’ai jamais vu un Etat établir des barrières douanières ou des restrictions au commerce, et notamment aux services, entre ses Etats fédérés : comme d’ailleurs, on ne l’accepterait pas entre la Bretagne et la Champagne, au plan national français. De ma courte mémoire, je n’ai pas le souvenir que des Etats fédérés soient autorisés par la législation nationale à s’octroyer des monopoles de droit, sur certains secteurs d’activité, en empêchant que s’implantent alors des entreprises des autres Etats fédérés.

Plus j’y pense, et plus je me dis que d’une certaine manière, la politique d’intégration économique européenne, de libre-échange intérieur, et de dérégulation des monopoles d’Etat, révèle le dessein profond du devenir de l’Europe : la volonté de tendre vers le fédéralisme. Certes, je ne prétends pas que le fédéralisme soit intégralement équivalent au libéralisme, mais qu’il possède en son sein et de manière absolument irrévocable une dimension libérale, tout du moins au plan intérieur. L’indéterminisme de la politique à mener par l’Europe dans d’autres secteurs, ne se fait alors pas très sûrement au profit du libéralisme, mais les libéraux ne devraient pas se cacher le caractère ontologiquement libéral du processus de l’intégration fédérale. Ceci me fait d’ailleurs fortement penser que nombres de socialistes et d’étatistes ne sont pas nécessairement fédéralistes alors qu’ils prétendrent l’être. Et à plus forte raison, cela me semble être une excellente raison de dire, que structurellement les altermondialistes, les communistes et les trotskistes se proclament fédéralistes et « pour une Europe des peuples », alors qu’ils n’ont strictement rien compris, et qu’ils signent en fait le refus de toute intégration durable politique et économique européenne.

Voila quelques raisons pour lesquelles je suis fédéraliste, outre ma sympathie en général pour l'idée européenne. A noter que cette analyse confirme le fait que le plus libéral des partis politiques étatiques français (si vous me pardonnez cet écart de langage) est sans doute l'UdF.

jeudi 19 mai 2005

Some Egyptian Stuff

Je reviens des dernières vacances de Pacques, et ce fut l’occasion de faire une longue escapade sous des cieux égyptiens, ou plutôt sous le soleil un tantinet brûlant. Ce blog n’étant nullement un endroit où je souhaite raconter le pourquoi et le comment des temps et de la manière dont j’ai vécu ce voyage, je souhaite néanmoins insister sur quelques points qui me semblent intéressants. Il m’apparaît assez clairement que ce voyage est une occasion de raconter d’une part ce que j’ai pu voir du régime de Moubarak, ainsi que des activités des égyptiens (sans pour autant tomber dans une typologie stupide), et d’autre part, de certaines opinions politiques et religieuses que j’ai pu entendre, ou de ce que j’ai retiré de dialogues avec les dits nationaux.

Cet éclairage – bien que n’étant pas spécialiste – m’apparaît d’ailleurs comme assez important dans la mesure où il permet une certaine compréhension « de l’intérieur » de ces pays et de leurs habitants, dont le statut et la religion déclenchent parfois les foudres dans un réflexe quasi-pavlovien. A noter qu’il se trouve que ce que l’on peut voir est parfois aux antipodes de certains poncifs et apporte un certain nombre de nuances dont il serait fort utile de se rappeler quand on veut discuter du « monde arabe ».

Dans un premier temps, je pense important de faire un rapide tour d’horizon de l’aspect que peut renvoyer le régime politique, guère démocratique, de Hosni Moubarak. Quelque chose qui est extrêmement frappant pour le pays est une présence très massive de la police, et de l’armée. Ce n’est d’ailleurs pas uniquement, comme on pourrait le penser, à l’égard des touristes, mais les policiers sont omniprésents dans leurs uniformes blancs : au Caire, on en croise au moins un tous les vingt mètres. De plus, ils ne sont que très peu distants avec la population : certes, ils ont pour rôle de protéger les touristes, particulièrement dans les souks cairotes, mais ils paraissent également un relais de l’Etat, presque une infiltration dans la population, dont ils sont issus mais qui ne ressent nul tendance à s’en méfier. En fait, la police, dont le nombre de fonctionnaires est très significatif, est un peu un refuge, une vache à lait pour une population où le chômage est très fortement élevé. Ce que je voudrais faire remarquer, c’est que la protection policière, du fait de cette absence claire de séparation entre la population et la police, entre lesquels l’ambiance est bon enfant, ne me semble en rien permettre d’éviter les attentats dans les rues contre les touristes. Les policiers ne donnaient en aucun cas l’impression de se préoccuper trop de la sécurité, et en particulier des personnes qui passaient à notre proximité. Je dois néanmoins préciser que cette visite a été faite deux jours avant le dernier attentat au Caire, près du musée des Antiquités Egyptiennes. Dans les aéroports, par ailleurs, les portiques de sécurité sont très fréquents, mais que la sonnerie se déclenche ou non, il est assez fréquent que l’on laisse les gens passer sans aucun contrôle. Il est à noter également que, outre la sécurité de l’emploi qu’ils peuvent disposer alors que le chômage est fréquent, les policiers, les militaires, et tout particulièrement des officiers de l’armée ont à leur disposition un nombre considérable d’avantages en nature, et de structures qui émaillent beaucoup l’agglomération du Caire, et les autres grandes villes du pays (Louxor, Assouan) : je veux parler d’un système hospitalier gratuit, et de « clubs », où les dits officiers ont à leur disposition terrains de golf, piscines, des chambres d’hôtels… Ces avantages octroyés par l’Etat à certains sont très mal perçus du point de vue de la population, et les guides exprimaient clairement une pointe d’animosité en en parlant.

Ce qui m’amène à la constatation suivante : il apparaît comme assez frappant que le régime s’appuie beaucoup sur l’armée égyptienne et sur ces membres. Me semble-il d’ailleurs, c’est l’armée et non la police, qui agit de manière beaucoup plus « vigoureuse » contre ceux qui sont considérés comme les partisans du terrorisme : les Frères Musulmans, interdits depuis quelques années ; et c’est également l’armée qui conduit les opérations « d’information », et de censures pour « prévenir » les attentats. Ce constat n’est guère étonnant, puisque les derniers dirigeants de l’Egypte (Naguib, Nasser, Sadate, Moubarak) sont tous issus du domaine militaire, qui gère le pouvoir depuis le coup d’Etat des « officiers libres » de 1953, et le renversement du roi Farouk. A remarquer d’ailleurs, que depuis cette date, les élections présidentielles ne sont pas à proprement parler des élections, mais des referendums pour savoir si l’on réélit le candidat unique, ou si on réélit le candidat unique. On ne s’embarrasse pas des allures de la démocratie, on sollicite directement le mode plébiscitaire… Paradoxalement, le culte de la personnalité de Moubarak n’est pas tellement développé, on ne trouve que quelques photos géantes, mais elles se font assez rares, et le profil charmant du dit Président n’apparaît sur aucun des billets de banque. Dans les rues, on peut par contre remarquer quelques affiches pour les élections législatives, où les candidats de l’opposition récoltent en général quelques miettes pour dire que…

Un ultime point politique que je voudrais évoquer est la corruption et les passe-droits très courants, pour les touristes et pour les autres. Un unique exemple suffira, je suppose : en théorie, aucun objet tranchant, coupant ne peut être emmené dans les avions, de même que le nombre d’effets que l’on peut emporter en cabine est limité. A l’aéroport d’Hurghada, sur la Mer Rouge, un groupe de trois touristes russes voulait emporter en cabines une trentaine de narguilés, alors que, pour les deux raisons précédentes, ceci était absolument prohibé : il suffit donc de soudoyer de quelques dizaines de livres égyptiennes le policier chargé des contrôles pour pouvoir passer sans aucun problème.

J’en viens à présent à ce que j’ai pu observer sur le plan des activités économiques. Je ne remets pas en cause, ce qui est établi assez majoritairement par la géopolitique, et notamment relayé par l’émission Le Dessous des Cartes sur Arte, à savoir que les principales ressources pour les Egyptiens sont : les dividendes du Canal de Suez (nationalisé par Nasser), le tourisme sur deux volets, à savoir le tourisme « culturel » des rives du Nil, et le tourisme « récréatif » des bords de la Mer Rouge (Hurghada, Charm-el-Cheikh), le Nil et son agriculture, les aides versées au budget de l’Etat égyptien par les Etats-Unis (deux milliards de dollars par an, soit la plus forte aide extérieure des Etats-Unis en valeur, après Israël), et auquel on peut rajouter, les rentrées de devises des travailleurs expatriés vers les pays du Golfe Persique. D’ailleurs, j’ai remarqué que les rares ressources pétrolières du pays sont gérées et monopolisées, comme souvent, par l’Etat égyptien, via la compagnie Misr Petroleum ; de même que les vols nationaux sont assurés par la société d’Etat EgyptAir. Il faut voir que le chômage est décrit comme très important dans la population, et les statistiques officielles annoncent un taux de 20%, en les considérant avec réserve du fait de leur fiabilité et des possibilités de sous-évaluation. C’est la raison pour laquelle il existe une discipline et une pratique nationale, et omniprésente : le bakchich. Pour tout service payé à l’avance par les guides, ou tout service ne serait-ce que très minime (tendre le savon dans certaines toilettes, ou prêter un carton pour faire de l’air dans les tombes de la nécropole de Thèbes), le bakchich est le point de passage obligé. C’est le complètement de salaires aux petits boulots, induit par un chômage important.

Il est à noter que cet échange, qui prend parfois la forme du don, n’est uniquement pratiqué entre les Egyptiens et les touristes, mais également entre les Egyptiens eux-même. Cette vision peut paraître angélique, mais apparemment il n’y a pas de méfiance, ni de jalousie entre les Egyptiens dans une situation financière précaire, et ceux qui se sont enrichis de manière légitime. Par contre, la zakât, le troisième pilier de l’Islam, est pratiquée entre les riches et les pauvres, qui vivent ainsi non en conflit, mais s’échangent des services et des dons les uns les autres. Il y a d’ailleurs au Caire de grandes disparités dans l’espace même de l’agglomération de quelques dix-huit millions d’habitants : des quartiers aisés, comme celui d’Héliopolis, où sont installés les palais présidentiels, et des souks où transparaît une grande pauvreté, mais qui ne sont pas pour autant à l’écart des touristes ou de l’activité commerciale. De ce que nous en a dit le guide, l’Islam cohabite en Egypte avec la communauté chrétienne copte, mais, si les croyances dans les religions sont solidement ancrées, et qu’il est assez difficile de ne pas croire, la pratique des deux religions, et surtout de l’Islam est en déclin assez important. Je voudrais insister sur le fait que bien que la ville soit dite « la ville aux milles mosquées », en aucun cas, on ne pense y être dans un pays gagné par l’extrémisme, et pour prendre une image d’Epinal, les tchadors et les voiles chez les femmes, et encore moins la burkha sont très loin d’être portés de manière importante. Les pratiques sociales apparaissent d’ailleurs beaucoup plus ouvertes du coté musulman que copte : alors que les premiers ne se marient pas nécessairement avec des gens de même nationalité, ou de même religion, les coptes, quant à eux, sont beaucoup claniques, et fonctionnent beaucoup plus en vase clos.

Je veux juste évoquer un point de la législation positive de l’Etat égyptien, puisqu’ils sont assez intéressants, bien qu’anecdotiques à remarquer : il est impossible pour l’Etat d’exproprier un propriétaire, ce qui explique par exemple, que certains temples ne peuvent pas être totalement reconstitués puisque les fouilles nécessiteraient de creuser en dessous d’habitations. A noter que cette règle a souffert une exception majeure dans l’histoire récente de l’Egypte, lors de la construction du haut-barrage d’Assouan, ordonné par Nasser, et réalisé avec l’aide des soviétiques. Dans ce cas précis, les Nubiens – habitants noirs de la Nubie, région qui s’étend sur le Soudan et le sud de l’Egypte – ont été expropriés, ou en tout cas, expulsés par nécessité et relogés, pour la plupart à Assouan. Notre guide a tenté de nous faire un exposé des avantages (« indépendance » et surplus énergétiques) et des inconvénients (déplacement des Nubiens, et inondations de temples) de la construction de ce barrage. Ce n’était pas la première fois qu’il s’est accordé une certaine liberté de ton vis-à-vis du régime et de ses orientations, sans toutefois transgresser ce qui pouvait être admis comme « tolérable ». C’était, bien évidemment, loin d’être le cas pour l’ensemble des guides dont certains pratiquaient allégrement la langue de bois et l’apologie du régime, de manière assez peu impartiale.

J’en viens donc à mon second point qui est une petite compilation des opinions mainstream que j’ai pu constater en parlant avec des Egyptiens francophones. Je vais essayer d’organiser cela en quatre moments.

Premièrement, il est communément admis chez les personnes avec lesquelles j’ai parlé, que la guerre de 1973, appelée par chez nous, guerre du Kippour (du nom de Yom Kippour, la fête juive du Grand Pardon), là-bas nommée guerre d’Octobre, est une grande victoire de la coalition égypto-syrienne contre Israël. Il est vrai que cet affrontement a causé dans les premiers temps un flottement assez important de Tsahal, et le recul des forces israéliennes, mais par la suite, les armées des pays bellicistes sont rentrées rapidement dans leurs territoires à la suite de cuisantes défaites. Ce qu’il y a de paradoxal, c’est que cette guerre n’est d’une part pas une grande victoire, mais que de plus, elle est assez exaltée dans son caractère symbolique, ce qui témoigne finalement d’une faible sympathie pour l’Etat d’Israël.

Le reste des discussions que j’ai eu, ou entendu, s’est produit dans le car qui nous menait de Louxor à Hurghada (sous escorte militaire), où j’ai pu remarquer quelques points assez significatifs. Le panarabisme était, me semble-t-il, le point de départ de la discussion, entamée sur ce thème, par les Français qui étaient derrière moi. Chacun a pu potasser ses connaissances historiques, en se lamentant de l’échec de la tentative d’instauration d’un « Etat arabe » (la République Arabe Unie) entre l’Egypte, dirigée par Nasser, et la Syrie. Bref, et les Français de disserter des causes et des effets de quel pouvait bien être le pays qui allait pouvoir unifier tout ce petit monde. Mais, au travers de leurs spéculations, on est revenu à des cas un peu plus concrets : le monde arabe, les dirigeants et les populations ne forment pas un « musulman » type d’Alger à Téhéran, en passant par Damas et par le Caire. Il y a des différences tout à fait fondamentales entre ces pays. A citer, par exemple : le nationalisme est très vivace en Egypte, du fait de l’Histoire de ce pays, et que depuis la conquête de la région en 332 avant Jésus-Christ, jusqu’au coup d’Etat des officiers libres en 1953, le pays n’a jamais été dirigé par des égyptiens, mais par des étrangers. Pour information, le refondateur de « l’Egypte moderne » est l’Albanais Mohammed Ali, qui prend le pouvoir après le départ de Bonaparte, et l’assassinat de Kléber. A l’inverse, un certain nombre de pays du Proche et du Moyen-Orient n’ont pas à proprement parler d’« identité culturelle », puisque, bien souvent, les pays ont été crée de toute pièce par les Occidentaux après le démembrement de l’Empire Ottoman – c’est le cas de l’Irak, du Koweït, des Emirats Arabes Unis, du Qatar, etc.

Deux autres informations importantes, pour invalider l’hypothèse panarabiste, et les délires de guerres de civilisations qui se fondent sur la même idée. D’une part, certains pays sont nettement assez « isolationnistes », ou plutôt qui varient dans les échanges et l’ouverture de leurs frontières avec les pays voisins. On peut, dans cette catégorie, citer le cas de la Libye, qui dispose d’importantes ressources pétrolières pour une population assez restreinte, et ne voit guère d’intérêt à s’unir aux autres. Le mythe du « musulman unique » ne résiste pas non plus à l’épreuve de l’examen des différences fondamentales qu’il existe entre le chiisme et le sunnisme. C’est un point particulièrement frappant que j’ai pu remarquer : notre accompagnateur dans le car, qui était un Egyptien sunnite, a qualifié, en ces termes, les chiites de « personnes que les sunnites ne considèrent même pas comme musulmanes ». Je savais que les divergences étaient profondes, et que l’amitié n’était pas au beau fixe, mais de là à voir l’Islam comme exclusivement sunnite il y avait un monde. Notre accompagnateur nous en a exposé les raisons, en disant que les chiites considéraient comme unique successeur légitime le cousin et gendre de Mahomet, Ali, à la place du premier calife. De ceci, notre interlocuteur déduisait que le chiisme ne considérait pas exclusivement le Prophète comme digne de culte, mais que ceci s’appliquait également à Ali. Ainsi, on peut toujours voir que le mythe nommé ici ne résiste pas aux réalités religieuses, et qui met ainsi à mal la thèse d’un intérêt commun entre tous les pays nommés dans la perspective d’atteindre un but favorable à tous. C’est également passer outre les réalités ethniques, dont la plus grande est peut-être la rupture entre les Perses d’Iran et les Arabes des autres pays musulmans, ceci s’ajoutant aux différences religieuses.

De ces différences multiples entre les musulmans du Proche et du Moyen-Orient, nous en sommes arrivés au point de passage obligé de l’actualité de ce monde depuis deux ans, à savoir la guerre en Irak. Inutile de préciser que l’anti-américanisme est la seule chose que j’ai pu discerner dans la bouche de notre accompagnateur, qui s’était accordé une certaine liberté de ton. Mais le plus étonnant n’était pas l’existence de cet anti-américanisme, mais précisément « sa modération » par rapport à ce que l’on peut entendre en France. Pour être exact, les Français, aux opinions très mainstream et leur interlocuteur avaient exactement les mêmes arguments et les mêmes poncifs : guerre pour le pétrole, hégémonie américaine, impérialisme… Les arguments ne bougeaient pas d’un iota par rapport à ce que j’ai coutume d’entendre, il n’y a pas plus de virulence dans les propos que j’ai entendu de la bouche de l’Egyptien qui nous accompagnait, que d’une part non négligeable des actes politiques français. Et quelle était la conséquence logique de tout cela ? Notre interlocuteur en est venu à dire que la France « n’était pas pareille », qu’elle était « l’amie des Arabes », que notre « Président Chirac a eu bien raison de se battre contre cette guerre ». En bref, que les Américains étaient les méchants, et nous les gentils.

Alors, ceci peut paraître anecdotique, mais il y a bien quelque chose de très important à en retirer : il n’y a pas de haine viscérale de l’Occident, en tant que tel. La doctrine de la guerre des civilisations est à milles lieux de ce que j’ai constaté : d’une part, il n’y a nullement une civilisation arabo-musulmane unie, mais une disparité d’ethnies, d’alternatives religieuses, et culturelles ; d’autre part, il n’y a pas de haine commune qui rassemble contre l’ennemi consacré que serait l’Occident. Si ce n’est nullement l’essence de la civilisation occidentale qui est responsable de la haine des Etats-Unis, c’est alors par les actions interventionnistes que ces derniers entreprennent que cette haine s’alimente et se maintient.

mardi 29 mars 2005

Errements

A vrai dire, je n’ai pas vraiment trouvé le titre percutant, le titre adéquat à ce post. Sans doute un aveu de faiblesse de vocabulaire, mais peu importe, je me lance, et j’espère que l’idée me suivra.

S’il est un trait constant que j’ai pu remarquer dans toutes les idéologies, il s’agit bien d’une haine identifiée envers une minorité. Les patrons pour une certaine gauche, les syndicats pour une certaine droite, les bourgeois et les capitalistes pour une deuxième gauche, les étrangers pour une deuxième droite. Plus extrêmes à chaque reprise. S’il est donc un travers dans lequel les libéraux ne devraient pas tomber, et dans lequel je m’efforcerai de ne pas tomber, c’est donc celui-ci : celui d’une haine identifiée d’une minorité. D’une haine systématique et aveugle, d’une rage finalement très collectiviste dans son essence, car visant des groupuscules.

Ces groupes peuvent d’ailleurs être divers : syndicats, hommes politiques, fonctionnaires, certains grands patrons, les chômeurs ; les hommes de l’Etat, en général. Ces hommes ont tous pour caractéristique d’être liés à l’Etat, l’Etat illégitime par essence, pour les libertariens. Une haine, ou un ressentiment en est-il utile ? Je ne le pense pas. Ces hommes ont-ils seulement conscience d’être ce que nous leur reprochons ? Je ne le pense pas. La vengeance, la violence, sont-ils bien efficients dans ce cas ? D’autant plus que syndicats, patrons, et les professions des fonctionnaires existeraient belle et bien dans un monde libertarien. Le danger est grand de prendre le contre-pied du discours ambiant, et de se réfugier dans des thèses tout aussi haineuses que nos contradicteurs. La tentation est immense de se faire l’exact opposé des conformistes, de rejeter en bloc certaines actions associatives, car elles sentent bon les thèses étatistes. Si les libéraux tombaient dans ce travers, j’estime également qu’ils ne se placeraient finalement à nouveau, dans leurs discours, dans une optique droite-gauche, et non en non plus, en dépassant ce clivage. Fort paradoxal pour des humanistes de céder à cette envie, de vouloir tout stigmatiser, y compris certaines thèses de gauche, qui, bien qu’utilisées à mauvais escient, n’en restent pas moins valables.

« Il y a une place à prendre », en étant plus honnêtes, moins haineux, plus convaincants que les étatistes de tout bord. Peut-être, est-ce mon vieux fond de centriste policé qui parle ? Mais, je ne pense pas en démordre de sitôt.

Dans l’espace public, celui des étatistes de tous bords, rien de plus facile que de se cantonner qu’à la critique négative, celle de la démolition des thèses adverses, celle de la réfutation. C’est, sans nul doute, un travail nécessaire, je serai bien arrogant de dire le contraire. Mais, est-ce bien suffisant ? Est-ce l’essence du libéralisme ? Les libéraux ne pourront définitivement répondre aux critiques qui leur sont opposés que s’ils développent une critique positive. Non seulement parce qu’il s’agit là d’un moyen de défendre et de promouvoir nos idées, mais aussi – et surtout – puisque le libéralisme rompt avec la « logique » de l’étatisme, propose une vision différente des évènements, individualiste, qui prône l’indépendance. Et, pour que les libéraux puissent mettre en branle les préjugés dont ils font l’objet.

La critique positive est d’autant plus nécessaire qu’elle permet, à terme, un changement de paradigme dans la manière dont les gens perçoivent l’action de l’Etat. Pour beaucoup, tant que l’étatisme et le keynésianisme ne seront pas assez contestés, penserons que l’intervention de l’Etat n’est pas nécessairement néfaste, mais qu’il suffit de trouver la bonne combinaison « volontariste ». Ce n’est que, quand cette norme, cette habitude, sera révolue que le libéralisme pourra s’ouvrir un boulevard. A l’avantage de tous.

samedi 12 mars 2005

Déterminisme inconscient et Responsabilité

Le déterminisme inconscient remet-il en cause la notion de responsabilité ?

L’idée d’un déterminisme inconscient est repris par plusieurs approches – à l’exemple de la théorie marxienne ; selon certaines d’entre elles, le déterminisme priverait l’individu de toute responsabilité.

Le « déterminisme inconscient » correspond au fait que l’être humain soit déterminé par les rapports qu’il a au monde, c’est à dire que ce qu’il est ainsi que ce qu’il pense ne soit que la conséquence logique de ce qu’il a vécu. L’être humain est alors mathématiquement prévisible, ses choix, bien que réfléchis, sont théoriquement, et ce sans exception, calculables. La notion d’inconscience sous entend ici le fait que l’homme ne puisse se rendre compte de sa condition, sa pensée, ses sentiments, en fin de compte la globalité de son être étant soumis à ce même déterminisme. Une telle approche des choses implique diverses idées ; d’une part, les actes d’un individu sont déterminés par les actes des autres individus – puisque ce que nous pensons et donc faisons est la conséquence logique de notre rapport au monde, d’autre part, la notion de libre arbitre – ici employée dans le sens de capacité de faire des choix de manière imprévisible mais non hasardeuse – est exclue.

La vision marxienne du déterminisme n’impute de ce fait aucune responsabilité à l’individu, puisque ses choix ont été préalablement déterminés par sa condition matérielle et non par lui même. Selon cette approche, un individu ne peut donc être fautif de quoi que ce soit, chacune de ses actions étant induite par sa condition matérielle ; lorsqu’une faute est commise, la société toute entière est tenue pour responsable. Le criminel, dans un tel système, n’est donc pas punit pour ses actes mais pris en charge par la collectivité afin d’être conditionné. Imaginons par exemple le cas d’un meurtrier. Dans un tel système, il ne sera pas considéré comme étant responsable du meurtre qu’il aura commis, de la même façon, chaque individu étant déterminé, nul ne pourra être individuellement considéré comme responsable du meurtre en question ; en effet, la société, c’est à dire l’ensemble des individus, est tenue pour responsable. Le meurtrier est alors pris en charge par un organisme qui l’entraînera dans un processus de réintégration – lequel a dans le cas présent pour but de conditionner l’individu de façon à ce qu’il adopte un comportement pacifique - afin qu’il puisse retourner au sein de la société.

Un tel système présente cependant un double effet pervers. En effet, il n’y a aucune désincitation au délit. Non seulement l’individu fautif n’est pas tenu pour responsable de ses actes, de ce fait, quoi qu’il fasse, ses actions seront systématiquement rejetées sur un fantôme de société – fantôme car chaque individu rejette sa faute sur l’ensemble, ensemble qui n’existe finalement pas puisque chaque individu, en transgressant la loi, s’exclue de ce même ensemble en condamnant celui-ci – mais encore, les autres individus – qui sont théoriquement jusque là respectueux des lois - ne seront eux-mêmes pas désincités à agir ; au contraire, ils y seront mêmes incités. En effet, le processus qui vise à reconditionner les hors-la-loi (à l’image de notre meurtrier précédemment cité) n’existe pas en dehors de la société, il en fait lui même parti, de ce fait, il la détermine lui aussi par sa propre existence, poussant par exemple les individus ayant l’idée de transgresser la loi à mettre leurs plans à exécution.

Au delà du fait que les solutions proposées par une telle théorie soient inefficaces voire contre-productives, cette vision des choses se base sur une conception erronée de la responsabilité, laquelle n’a en réalité aucun rapport avec un quelconque déterminisme. L’idée selon laquelle le déterminisme remettrait en cause la notion de responsabilité individuelle est absurde ; si l’Univers entier est déterminé, si l’on se base sur cette vision des choses, nul ne saurait être tenu pour responsable. Il est donc incohérent – en plus d’être contre productif - de considérer que l’ensemble des individus, c’est à dire la société, devrait être tenue pour responsable, puisque chacun de ses membres ne l’est pas ; en effet, la société ne pense pas, la société n’est pas une entité disposant d’une quelconque intelligence, l’individu est le seul doué de tels attributs. En réalité, la notion de responsabilité est nécessaire à n’importe quel être pensant. En effet, chaque individu poursuit des buts, des objectifs au cours de sa vie, lorsque celui-ci commet une erreur, il est logique et nécessaire qu’il en porte la responsabilité car c’est ainsi que l’individu va pouvoir poursuivre les objectifs qu’il s’est fixé. Un individu déresponsabilisé est un individu qui ne se remet pas en question – puisque les erreurs qu’il commet sont rejetées sur une autre entité – et qui, en conséquence, persiste dans ses erreurs. C’est en tenant compte de ses erreurs – c’est à dire en étant responsable – qu’un individu ne reproduira pas ces mêmes erreurs et pourra de ce fait atteindre les objectifs qu’il se sera lui-même fixé.

Le déterminisme inconscient n’a donc aucun rapport direct avec la notion de responsabilité ; que l’individu soit déterminé ou pas, la responsabilité sera toujours nécessaire afin qu’il puisse persister dans ce qui est bon – critère qu’il aura lui-même défini – et éviter ce qui ne l’est pas.