I/ Finalité de la philosophie politique.

Thomas Hobbes, dans le Léviathan (1651), affirme, à la suite d’Hugo Grotius, que chaque homme possède un droit fondamental à se préserver lui-même. A partir de cette prémisse, il fonde la légitimité d’un Etat doté d’une souveraineté absolue contre lequel aucune révolte ne saurait être justifiée, sans quoi les hommes retourneraient à l’état de nature caractérisé par l’insécurité permanente et « la guerre de chacun contre tous ».

En un sens, la justification de Hobbes est précise, pointilleuse et sans aucun doute d’une grande tenue. Son plus grand défaut est néanmoins d’être statique : Hobbes ne considère que le point de départ – l’état de nature – et la manière d’instaurer la sécurité par une institution, sans se soucier des raisons pour lesquels les hommes pourraient se révolter. La garantie la sécurité des individus consiste non seulement dans l’instauration d’une institution, mais dans l’acceptation de cette institution, telle que par le droit qu’elle adopte, elle puisse promouvoir la paix civile. Cette préoccupation ne concerne pas uniquement la genèse de cet Etat mais également l’évolution et la forme qu’il adopte. L’étude de l’objet politique devrait donc se concentrer sur l’objectif d’une paix civile, d’une certaine forme d’harmonie qui prohibe la violence physique. La justice telle qu’elle s’incarne dans le droit n’est plus alors un objet éthéré déterminé simplement dans l’abstrait, mais les conséquences – et donc la pertinence – d’une telle théorie juridique peuvent alors être appréciées au regard de la paix civile. Ceci a également pour corollaire l’affirmation qu’il est impossible de concevoir le droit comme totalement déconnecté de sa mise en œuvre.

Soutenir que tout homme possède le droit fondamental de se préserver lui-même suppose deux préalables philosophiques à justifier :

  1. l’égalité adoptée dans la détermination du droit (isonomie) ;
  2. la nécessité de la légitimité de la préservation des hommes.

En ce qui concerne le premier point, on peut dire que ceci résulte d’un postulat individualiste : tous les hommes sont égaux en droit, parce qu’ils possèdent la même structure, parce qu’ils appartiennent à la même espèce et possèdent donc certains traits communs. Ceci implique à la fois une conception morale universaliste et une constatation pratique, à savoir que tous les hommes sont dotés d’une raison, d’une volonté, de désirs, et qu’ils organisent, ce faisant, les moyens dont ils disposent pour aboutir à leurs fins : chaque homme existe donc, et tous les hommes se manifestent d’une manière similaire. La philosophie politique ne peut considérer certains comme hors du problème de la paix civile, car de par leurs personnes-mêmes, ne pas les traiter en égaux ne leur enlève en rien la possibilité dont ils disposent de troubler cette paix, on ne peut alors plus penser le problème de la garantie de la sécurité. Quant au second point, il découle de l’isonomie : si nous n’admettons pas la légitimité de la préservation de la vie par chacun, nous promouvons la mort de l’humanité, dans la mesure où, appliquant ce précepte à un individu, nous devons l’appliquer à tous les hommes. Or, une telle conclusion est absurde alors que le droit se propose de garantir la paix civile, c’est-à-dire d’organiser d’une manière pacifique les relations entre les hommes. Nier qu’ils aient droit à exister dans le droit nie dans le même mouvement le rôle et la nécessité du droit !

On peut donc affirmer ici que la question fondamentale de la philosophie politique est de déterminer les règles de droit, sous la contrainte d’isonomie, telles que soit possible l’existence d’un ensemble d’individus dans une situation de paix civile, c’est-à-dire telles que les différentes volontés des individus et les desseins poursuivis par chacun puissent être compatibles.