Voici donc, à mon tour, comme promis à Copeau, mon premier podcast, en espérant n'avoir pas trop oublié d'articuler, comme c'est souvent mon cas. Je vous laisse découvrir ma voix suave, au format MP3, avec un micro dont je doute des qualités sonores. :-P J'en profite pour signaler notre nouveau flux podcastique, pour compléter l'attirail moderne des parfaits bloggeurs.

Argumentation, contextualisation et libéralisme

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A la demande de Copeau, et par souci de clarté, je me livre à une auto-exégèse de mon propos dans ce podcast. Il faut bien voir que dans ce premier podcast, je mêle un peu différents plans de réflexions, et cela peut paraître quelque peu embrouillé. Je cherche juste ici à donner le point de vue théorique que j'ai essayé de défendre, sans revenir sur les différents exemples que j'ai pu citer.

Je dirai que l'innovation majeure que consiste l'approche que j'ai tentée de développer, est simplement de quitter le cadre universaliste, intemporel, purement abstrait dans lequel le libertarianisme est souvent présenté, pour le "plonger" dans le contexte qui est le notre à savoir le contexte de démocratie.

Mon premier point est alors simplement de taquiner d'une certaine manière ceux qui recherchent à tout prix la cohérence absolue de leur système, pour présenter également quels obstacles contre lesquels la cohérence théorique peut se heurter, notamment vis-à-vis d'une cohérence pratique. Le propos était alors de dire qu'en tant que citoyens d'une démocratie, nous ne pouvons avoir voix au chapitre, nous ne pouvons examiner les problèmes politiques, nous ne pouvons donner notre avis et tenter d'influer sur les décisions que parce que nous avons tous notre droit de vote. Nous sommes alors tributaires de ce statut là, quand nous formulons toute théorie politique, dont les conclusions peuvent - dans une optique de cohérence - difficilement remettre en cause les principes du régime même, en tant que nous y participons. J'ai fait référence ici, à une question de Karl Popper, en fin de podcast, qui faisait cette remarque à propos des totalitarismes, mais ceci s'applique également aux autres révolutionnaires : quelle est la légitimité, la validité, et la cohérence d'une décision prise en démocratie, mais... qui abolit la démocratie? Le fait était en l'occurrence, qu'il est un grand paradoxe de conférer une quelconque force et validité à une décision qui remet en cause le mode de décision qui a permis l'adoption de la proposition/loi initiale.

Mon second point maintenant, il concerne l'articulation comme tu le dis entre utilitarisme et jusnaturalisme. Il faut par ailleurs comprendre, dans ma bouche, le terme de jusnaturalisme, dans une approche élargie, à savoir toute théorie du droit (naturel), mais non forcément systématisée (à outrance) comme c'est le cas chez Rothbard, ou certains objectivistes. J'ai ici sciemment pris les choses à rebours de l'évolution historique des idées libérales qui ont commencées non pas par l'utilitarisme, mais pas le système de la théorie du droit (J.Locke). Pourtant ceci tiens à ma volonté de contextualiser le propos, puisque on a rarement l'intuition d'un système (de droit) synthétique, mais plutôt celui d'une approche au cas par cas (analytique, comme pour le jusnaturalisme). En fait, il se trouve qu'au fil des siècles, à partir de la théorie lockéenne du droit, les économistes libéraux en tout genre (quand, je dis "économistes", cela n'englobe pas que le champ "économique", puisque J.Bentham, J.S.Mill et G.Becker, ont eu le même type de justification sur des problèmes sociétaux), ont prouvé que ce qui découlait du droit libéral, était également le plus efficace sur le long terme. Mon propos est alors de dire qu’utilitarisme et jusnaturalisme, bien loin de l'opposer, se rejoignent, au sens au ce qui est juste est également utile à long terme. Mon propos n'est pas tant de dire que le jusnaturalisme ne doit pas se couper de sa base utilitariste, que de dire que les deux approches sont complémentaires, et qu'on a tord de les opposer, puisque de toute façon, les plans sur lesquels elles opèrent sont différents.

Je notais également que ceci est relativement "prouvable" si on ne prend comme référence que la théorie jusnaturaliste, puisque cette dernière cherche à déterminer les droits des individus avec comme fondement leur conformité avec la "nature humaine". On peut donc alors dire que le système de droit le plus conforme à cette "nature humaine" profonde, et de l'organisation sociale, est très probablement le plus en adéquation avec la manière dont les hommes sont et fonctionnent. L'intérêt de cette constatation n'est pas tant de dire que ce qui est "juste sans être utile est injuste", comme tu dis, mais "ce que l'on croyait juste, par la seule approche aprioriste et déductive (comme chez Rothbard) n'est probablement pas juste". L'utilité majeure de cette observation est de ne pas avoir qu'une seule source de connaissance et de recherche du droit, tant le sujet est délicat et pourrait être source de pas mal de catastrophes.

P.Simonnot, dans l'Invention de l'Etat, n'adopte rien d'autre que cette démarche, et en ce sens, on peut le citer comme exemple. Il ne se préoccupe pas du juste, mais il constate qu'à chaque fois, ce qui était admis comme juste dans telle ou telle société, était également efficient. Ce critère permet un test, et pas tant une détermination complète du droit. Je prendrais juste l'exemple du double-talion inspiré par Rothbard et que Simonnot cite précisément comme n'étant pas efficient dans notre société actuelle : il existe des arguments sur le pur plan logique, et sur le plan de la tradition jusnaturaliste pour questionner, voire invalider cette idée du double-talion dans le droit naturel (et la détermination du système pénal comme partie intégrante de ce droit naturel), mais la non-efficience de ce double-talion est un argument supplémentaire pour l'invalider.

Enfin, je voudrais revenir et développer un peu les différences entre les approches jusnaturalistes et utilitaristes. Outre l'opposition méthodologique entre l'analyse des problèmes au cas par cas, auquel répond l'utilitarisme, et la synthèse, le système que propose le jusnaturalisme (rothbardien, en l'occurrence), je peux dire qu'il y a un intérêt "stratégique" à ne pas exclure l'une au profit de l'autre, puisque de toute façon, on peut s'adresser aux gens avec un idéal de justice (ou plutôt une idée de justice), ou avec une argumentation plus prosaïque basée sur l'efficacité des mesures proposées. L'intérêt des deux approches est également différent, dans le sens que la théorie jusnaturaliste est vraiment utile et une construction valable dans la confrontation avec d'autres grandes théories politiques, qui reprochent précisément au libéralisme, de cautionner une système fondamentalement injuste, et qui en remet en cause le moindre fondement (le marxisme, pour ne pas le citer). Au risque de l'autisme du système cependant...

Mais, fondamentalement, et ceci sera ma conclusion, bien que cela ne soit qu'en filigrane dans le podcast, je ne pense pas qu'une théorie du droit suffise à construire, faire et proposer une théorie de la justice ; puisque dans la théorie du droit, manque irrémédiablement, ou est implicite dans ce type de théorie, l'idée de justice "sociale" - si j'ose dire.

Et je crois pouvoir dire qu'un nombre assez important, voire la quasi-intégralité des positions libérales, et de leur justification qu'on pourrait apporter, sont en conformité avec les deux principes (de liberté et de différence) de la Théorie de la Justice de J.Rawls. C'est d'ailleurs toute l'ambiguïté de Rawls, auquel on a souvent reproché la critique des utilitaristes, quant bien même il ne s'en éloigne pas tellement, si ce n'est dans un certain discours. Finalement, je suis sûrement à la recherche d'un troisième terme entre utilitarisme et jusnaturalisme, en les reliant dans leurs approches sans s'en revendiquer ouvertement. En espérant avoir été clair et relativement exhaustif.