Libertarian Kids

lundi 11 juillet 2005

Argumentation, contextualisation et libéralisme

Voici donc, à mon tour, comme promis à Copeau, mon premier podcast, en espérant n'avoir pas trop oublié d'articuler, comme c'est souvent mon cas. Je vous laisse découvrir ma voix suave, au format MP3, avec un micro dont je doute des qualités sonores. :-P J'en profite pour signaler notre nouveau flux podcastique, pour compléter l'attirail moderne des parfaits bloggeurs.

Argumentation, contextualisation et libéralisme

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A la demande de Copeau, et par souci de clarté, je me livre à une auto-exégèse de mon propos dans ce podcast. Il faut bien voir que dans ce premier podcast, je mêle un peu différents plans de réflexions, et cela peut paraître quelque peu embrouillé. Je cherche juste ici à donner le point de vue théorique que j'ai essayé de défendre, sans revenir sur les différents exemples que j'ai pu citer.

Je dirai que l'innovation majeure que consiste l'approche que j'ai tentée de développer, est simplement de quitter le cadre universaliste, intemporel, purement abstrait dans lequel le libertarianisme est souvent présenté, pour le "plonger" dans le contexte qui est le notre à savoir le contexte de démocratie.

Mon premier point est alors simplement de taquiner d'une certaine manière ceux qui recherchent à tout prix la cohérence absolue de leur système, pour présenter également quels obstacles contre lesquels la cohérence théorique peut se heurter, notamment vis-à-vis d'une cohérence pratique. Le propos était alors de dire qu'en tant que citoyens d'une démocratie, nous ne pouvons avoir voix au chapitre, nous ne pouvons examiner les problèmes politiques, nous ne pouvons donner notre avis et tenter d'influer sur les décisions que parce que nous avons tous notre droit de vote. Nous sommes alors tributaires de ce statut là, quand nous formulons toute théorie politique, dont les conclusions peuvent - dans une optique de cohérence - difficilement remettre en cause les principes du régime même, en tant que nous y participons. J'ai fait référence ici, à une question de Karl Popper, en fin de podcast, qui faisait cette remarque à propos des totalitarismes, mais ceci s'applique également aux autres révolutionnaires : quelle est la légitimité, la validité, et la cohérence d'une décision prise en démocratie, mais... qui abolit la démocratie? Le fait était en l'occurrence, qu'il est un grand paradoxe de conférer une quelconque force et validité à une décision qui remet en cause le mode de décision qui a permis l'adoption de la proposition/loi initiale.

Mon second point maintenant, il concerne l'articulation comme tu le dis entre utilitarisme et jusnaturalisme. Il faut par ailleurs comprendre, dans ma bouche, le terme de jusnaturalisme, dans une approche élargie, à savoir toute théorie du droit (naturel), mais non forcément systématisée (à outrance) comme c'est le cas chez Rothbard, ou certains objectivistes. J'ai ici sciemment pris les choses à rebours de l'évolution historique des idées libérales qui ont commencées non pas par l'utilitarisme, mais pas le système de la théorie du droit (J.Locke). Pourtant ceci tiens à ma volonté de contextualiser le propos, puisque on a rarement l'intuition d'un système (de droit) synthétique, mais plutôt celui d'une approche au cas par cas (analytique, comme pour le jusnaturalisme). En fait, il se trouve qu'au fil des siècles, à partir de la théorie lockéenne du droit, les économistes libéraux en tout genre (quand, je dis "économistes", cela n'englobe pas que le champ "économique", puisque J.Bentham, J.S.Mill et G.Becker, ont eu le même type de justification sur des problèmes sociétaux), ont prouvé que ce qui découlait du droit libéral, était également le plus efficace sur le long terme. Mon propos est alors de dire qu’utilitarisme et jusnaturalisme, bien loin de l'opposer, se rejoignent, au sens au ce qui est juste est également utile à long terme. Mon propos n'est pas tant de dire que le jusnaturalisme ne doit pas se couper de sa base utilitariste, que de dire que les deux approches sont complémentaires, et qu'on a tord de les opposer, puisque de toute façon, les plans sur lesquels elles opèrent sont différents.

Je notais également que ceci est relativement "prouvable" si on ne prend comme référence que la théorie jusnaturaliste, puisque cette dernière cherche à déterminer les droits des individus avec comme fondement leur conformité avec la "nature humaine". On peut donc alors dire que le système de droit le plus conforme à cette "nature humaine" profonde, et de l'organisation sociale, est très probablement le plus en adéquation avec la manière dont les hommes sont et fonctionnent. L'intérêt de cette constatation n'est pas tant de dire que ce qui est "juste sans être utile est injuste", comme tu dis, mais "ce que l'on croyait juste, par la seule approche aprioriste et déductive (comme chez Rothbard) n'est probablement pas juste". L'utilité majeure de cette observation est de ne pas avoir qu'une seule source de connaissance et de recherche du droit, tant le sujet est délicat et pourrait être source de pas mal de catastrophes.

P.Simonnot, dans l'Invention de l'Etat, n'adopte rien d'autre que cette démarche, et en ce sens, on peut le citer comme exemple. Il ne se préoccupe pas du juste, mais il constate qu'à chaque fois, ce qui était admis comme juste dans telle ou telle société, était également efficient. Ce critère permet un test, et pas tant une détermination complète du droit. Je prendrais juste l'exemple du double-talion inspiré par Rothbard et que Simonnot cite précisément comme n'étant pas efficient dans notre société actuelle : il existe des arguments sur le pur plan logique, et sur le plan de la tradition jusnaturaliste pour questionner, voire invalider cette idée du double-talion dans le droit naturel (et la détermination du système pénal comme partie intégrante de ce droit naturel), mais la non-efficience de ce double-talion est un argument supplémentaire pour l'invalider.

Enfin, je voudrais revenir et développer un peu les différences entre les approches jusnaturalistes et utilitaristes. Outre l'opposition méthodologique entre l'analyse des problèmes au cas par cas, auquel répond l'utilitarisme, et la synthèse, le système que propose le jusnaturalisme (rothbardien, en l'occurrence), je peux dire qu'il y a un intérêt "stratégique" à ne pas exclure l'une au profit de l'autre, puisque de toute façon, on peut s'adresser aux gens avec un idéal de justice (ou plutôt une idée de justice), ou avec une argumentation plus prosaïque basée sur l'efficacité des mesures proposées. L'intérêt des deux approches est également différent, dans le sens que la théorie jusnaturaliste est vraiment utile et une construction valable dans la confrontation avec d'autres grandes théories politiques, qui reprochent précisément au libéralisme, de cautionner une système fondamentalement injuste, et qui en remet en cause le moindre fondement (le marxisme, pour ne pas le citer). Au risque de l'autisme du système cependant...

Mais, fondamentalement, et ceci sera ma conclusion, bien que cela ne soit qu'en filigrane dans le podcast, je ne pense pas qu'une théorie du droit suffise à construire, faire et proposer une théorie de la justice ; puisque dans la théorie du droit, manque irrémédiablement, ou est implicite dans ce type de théorie, l'idée de justice "sociale" - si j'ose dire.

Et je crois pouvoir dire qu'un nombre assez important, voire la quasi-intégralité des positions libérales, et de leur justification qu'on pourrait apporter, sont en conformité avec les deux principes (de liberté et de différence) de la Théorie de la Justice de J.Rawls. C'est d'ailleurs toute l'ambiguïté de Rawls, auquel on a souvent reproché la critique des utilitaristes, quant bien même il ne s'en éloigne pas tellement, si ce n'est dans un certain discours. Finalement, je suis sûrement à la recherche d'un troisième terme entre utilitarisme et jusnaturalisme, en les reliant dans leurs approches sans s'en revendiquer ouvertement. En espérant avoir été clair et relativement exhaustif.

dimanche 10 juillet 2005

Podcast 3.0

Un nouveau podcast. Sur demande d'alpheccar, que j'éviterai dorénavant d'oublier, je viens d'encoder le podcast au format MP3. Ce podcast est également distribué au format OGG, lisible normalement par Winamp.

Désolé pour la piètre qualité sonore, mon micro n'y est pas pour rien. Promis, j'essaierai dans les jours qui viennent de m'en dégoter un légèrement plus performant.

Allez, trève de bavardages, je vous laisse écouter : Podcast n°3 - format OGG - Podcast n°3 - format MP3

PS : Bientôt l'arrivée d'un flux XML, de façon à ce que le podcast devienne un vrai podcast.

samedi 2 juillet 2005

Le double discours alter-mondialiste

Il est plus ou moins à la mode de nos jours - comme c'est entre autres le cas aujourd'hui - d'organiser toutes sortes de festivités ou de concerts dans le but d'éliminer la pauvreté dans le monde. But certes louable et parfaitement libéral dans la mesure où il reste privé, mais le message politique qu'adressent certaines organisations alter-mondialistes accompagnant ce type d'initiatives l'est déjà beaucoup moins.

Ce message politique adressé au G8 et plus généralement aux pays du Nord développés se compose notamment du souhait d'instauration de la taxe Tobin, taxe prélevée sur les mouvements de capitaux et sensée servir d'aide aux pays pauvres. Ce discours en apparence "bisounours" est particulièrement fort, d'une part parce qu'il donne une fausse image de générosité à bon nombre d'hommes politiques la défendant - à l'exemple de notre cher président Jacques Chirac - tout en cachant une réalité qui est tout autre. Les quelques millions de dollars que rapporteraient une telle taxe ne serviraient non seulement pas à grand chose, compte tenu de l'état de pauvreté extrême dans laquelle sont plongés les pays du Sud, mais encore empirerait considérablement la situation. En effet, la seule conséquence certaine de l'instauration de la taxe Tobin serait une paralysie des mouvements de capitaux dans le monde, ce qui serait désastreux pour les PED, lesquels, trop pauvres, n'ont pas les moyens de rassembler une épargne suffisante pour pouvoir investir et donc se développer. A l'image dans dragons asiatiques, les PED ont et auront besoin de l'épargne des étrangers pour pouvoir investir, chose qui sera rendu très difficile par un quasi-arrêt des mouvements de capitaux à travers la planète.

J'ai par ailleurs été assez frappé de voir au journal télévisé la différence de point de vue existant entre certains militants africains et européens. Les premiers réclamaient un "commerce juste", en d'autres termes, le libre-échange - chose que le journaliste s'est bien gardé de dire - tandis que les seconds, tout en demandant l'aide aux pays en difficulté, réclament par ailleurs que l'on subventionne nos propres agriculteurs, ce qui est d'ailleurs d'ores et déjà le cas. Ce sont justement les subventions versées aux agriculteurs des pays du Nord par leurs Etats respectifs qui maintiennent les pays du Sud dans la pauvreté et l'exposition aux famines. Les subventions versées empêchent les agriculteurs du Sud, représentant une part considérable de la population de leur pays, de vendre leur production sur le marché mondial. On ne peut pas, comme le fait José Bové, demander tout et son contraire, à savoir, d'un côté des subventions et de l'autre l'aide aux pays pauvres. Entre vivre sur le dos des autres et instaurer un commerce juste avec les pays du Sud, il faut faire un choix. Si l'aide au Sud exploité - ce qui est, d'une certaine manière, bel et bien le cas, vu ce que je viens d'énoncer - doit se réaliser, que l'on abolisse donc le protectionnisme.

Contractualisme, droit et pouvoir

I/ Droit et pouvoir, deux ordres disjoints

Toute la question des trois auteurs contractualistes est de penser l'articulation, la tension entre ces deux formes que sont d'une part le droit, et d'autre part le pouvoir. Admettons pour les besoins de la cause, l'existence d'un droit naturel, quelque soit son contenu puisque cette prémisse est commune aux trois philosophes (Hobbes, Locke, Rousseau) en question. L'articulation entre les deux notions est problématique dans la mesure où les deux concepts, que sont droit et pouvoir, ne se situent pas sur le même plan. On peut finalement reprendre ici la distinction des positivistes juridiques entre être et devoir-être, entre le fait et la valeur.

Je laisse de coté l'interrogation fondamentale du droit naturel, à savoir la rechercher du fondement du droit (dans une certaine forme d'être, d'essence, de nature humaine), pour me concentrer juste sur l'aspect factuel de la chose. Le droit, et ses énoncés se rapportent donc au devoir-être, sans préoccupation pour l'aspect "réel" de son application. Disons que sa validité n'est pas tellement conditionnée par son respect dans une situation donnée, puisqu'il pose une sorte d'idéal de justice à atteindre. Que le meurtre existe n'induit pas que le meurtre soit juste ou injuste, précisément c'est la question de son existence qui conditionne la question du jugement juridique qu'on lui porte. Gageons donc que le droit est une forme d'idéal, qui a une portée universelle (dans la perspective jusnaturaliste), et dont la fonction n'est pas d'entériner le réel et/ou le fait accompli, mais de le prescrire selon certaines normes données.

D'une autre coté, la forme du pouvoir et son statut sont tout à fait différents. Le pouvoir, et en particulier celui de l'Etat, est issu d'un rapport de forces, d'une situation factuelle, qui cette fois-ci n'est pas soumise à un ordre prescriptif universels, mais à des contingences. Il fait partie non pas de la valeur, du devoir-être, mais du fait, de l'être, de l'organisation des hommes. Les motivations de ceux qui le détiennent peuvent être diverses, tout comme l'intérêt que chacun a de le respecter peut être changeant. Son utilisation et sa pratique sont bien plus terre-à-terre, et cynique que l'adhésion à l'idée de droit. Pour ne citer qu'un exemple célèbre, Machiavel analyse les principes du pouvoir, et de sa conservation dans le Prince, sans préoccupation pour la justesse morale et juridique que cela induit.

Pris isolément, la pratique du pouvoir conduit à considérer ce qui est sans se soucier de ce qui devrait être, et le contenu du droit conduit à considérer ce qui devrait être sans s'occuper de ce qui est.

II/ Réalisme et idéalisme : primat du pouvoir ou primat du droit?

A partir de ce point, deux traditions délimitent grosso modo, les différentes manières de penser l'articulation entre droit et pouvoir, au fil de l'histoire de la philosophie politique.

Tout d'abord, une perspective réaliste, certainement bien synthétisée dans cette phrase de Pascal : "Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.". Dans cette optique, on peut dire que le jugement de valeur sur l'articulation entre les deux ordres est suspendu, pour observer ce qui factuellement se réalise. Admettant implicitement l'hypothèse de l'observation du fait, on se range tout de suite qui admet le primat du pouvoir, du fait, du rapport de forces, sur ce qui devrait être. Chacun va donc considérer selon cette optique, que le droit n'est qu'une forme de corruption de son idéal, puisqu'il est édicté selon le bon vouloir de celui qui se l'est accaparé. Il est assez facile de constater que ce mécanisme de légitimation du pouvoir, par lui-même, édictant le droit, est quasi-universel pour les structures coercitives. Le droit que l'Etat s'accapare ici est entendu comme droit positif, c'est-à-dire nombre d'énoncés prescriptifs en vigueur à un instant donné, émanent d'une structure donnée, sans considération aucune pour le contenu normatif de ces énoncés.

Il est à noter que ce type d'analyse n'est nullement récusé comme jugement factuel par nombre de libertariens, critiquant précisément cette inclinaison du pouvoir à faire le droit, et à s'auto-légitimer via ce dernier. Ici, est également sûrement la source, que les partisans du jusnaturalisme anarcap ont à refuser, et à rejeter la perspective selon laquelle le droit positif pourrait se régler sur la norme ad hoc de justice qu'est le droit naturel : permettre à l'Etat de s'approprier et de faire respecter ce qui à la base devait le fait abolir, est finalement la forme la plus perverse d'acceptation et de justification de l'Etat.

C'est ici qu'apparaît donc la perspective idéaliste d'articulation du droit et du pouvoir, qui ne dit rien, par définition, quant à la faisabilité de cette hypothèse, et à la possibilité de sa réalisation. Ici, on considère le primat du droit naturel sur le pouvoir, ce n'est plus le droit qui procède du pouvoir, mais le pouvoir qui est encadré, justifié et accepté sur la base du droit. Il s'agit donc clairement d'une théorie de la justice, où ce qui devrait être règle ce qui est, sur un idéal-type. Seulement cela vient à considérer que l'idée de justice prime chez les hommes sur la crainte factuelle qu'il y a à éprouver face au pouvoir de n'importe quelle structure.

Vis-à-vis de la première conception, qui est factuelle, et donc en cela, difficilement réfutable, les libertariens admettent donc un changement de paradigme dans le jugement qu'ils portent face au pouvoir, dès qu'il s'agit... de promouvoir un idéal, une visée, une vision politique, et de justice. Face à l'analyse millénaire et réaliste du pouvoir, on assiste donc à une substitution dans l'idée que l'on se fait du pouvoir.

Cependant, si on note une dénaturation du droit et une corruption de ce dernier, quand il est accaparé par une structure illégitime, on peut également remarquer que c'est cette fois-ci, le pouvoir qui est mal jugé si on admet que le droit s'institue et instrumentalise/subordonne le pouvoir.

III/ L'anarcho-capitalisme et le problème de la réciprocité des droits individuels

Dans sa perspective "positive" (entendue, comme "proposition" ou "projet") politique, et de justice, l'anarcho-capitalisme adopte donc cette deuxième perspective, alors que son jugement est factuel sur le pouvoir tel qu'il est apparu jusque là dans l'Histoire des hommes. Je viens d'écrire que la perspective idéaliste n'avait pas d'égards avec ce qui est, et donc ne disait presque rien quant à la possibilité de réalisation d'un règne absolu du droit, d'une optique où le pouvoir procéderait du droit et non l'inverse. Il faut donc analyser les conditions de possibilité du respect du droit dans une société sans Etat. J'admets également pour les besoins de la cause que l'on se place dans une société où le droit naturel libertarien est a priori respecté, et je me propose d'observer l'évolution des comportements individuels vis-à-vis de ce dernier droit.

Je crois pouvoir reprendre une partie de l'analyse de Thomas Hobbes ici. Ce qui va motiver, dans un premier temps, les individus relèvent d'une double perspective : d'une part, le rejet de toute forme d'anomie, puisque l'on considère qu'ils souhaitent fortement avoir une épine dorsale d'organisation, et de règlement des conflits, et d'autre part, de s'assurer que cette situation perdurera, avec leurs droits individuels garantis. Sur quoi repose la perpétuation du Droit naturel dans une société anarcho-capitaliste? Sur le consentement mutuel et la reconnaissance de ces droits. Or, le point de rupture majeur est effectivement ici : le problème vient de la crainte, de la tension permanente pour l'individu de se voir reconnaître par autrui ses droits individuels. Le système de justice ne tient que par le respect du droit, et par la reconnaissance mutuelle des droits subjectifs..., c'est-à-dire au renoncement de chacun sur la part de pouvoir qu'il a de contester les droits d'autrui. Le point d'interrogation est donc à situer dans la persistance du consentement d'autrui, à me reconnaître mes droits, en même temps que je les lui reconnais. Sans Etat, sans puissance centralisatrice, rien ne me garantit de quitter cette crainte, cette incertitude persistante pouvant à tout moment entraîner le délitement du droit. La réciprocité dans la reconnaissance des droits est nécessaire à la viabilité de l'anarcho-capitalisme, et la crainte persistance, l'insécurité qu'il y a à garantir ce consentement mutuel, qui peut fort aisément partir en fumée par un relâchement de l'accord commun.

Suis-en train de dire qu'une anarchie non anomique est impossible? Pas vraiment, je suis plutôt en train de dire que le pari est très risqué compte tenu de ce que l'on n’est absolument pas sur que la fin, et l'accord mouvant sur les droits subjectifs que chacun peut obtenir n'est absolument pas certain d'aboutir à une situation où le droit en vigueur soit pleinement en conformité avec le droit naturel, dont le respect était la visée initiale. Il est également à noter qu'ici, je ne fais pas de différence entre anarcho-capitalisme et minarchisme sécessionniste, puisque les deux se heurtent finalement au même problème de la réciprocité, et du "package" Etat.

IV/ Contrat social, et démocratie : pacte et rétro-contrôle, des solutions?

Viens donc l'idée en réponse à cette question du pouvoir procédant du droit, que j'ai rattaché au problème de l'anarcho-capitalisme, du contrat social. J'essaie de placer ces deux outils que sont la démocratie et le contrat social en perspective des trois auteurs, pour pouvoir voir en quoi ils permettent de répondre aux questions précédentes.

1) Thomas Hobbes

Pour cet auteur, il est clair qu'il se situe dans l'analyse factuelle ou réaliste du pouvoir, et cherche à garantir a minima une situation particulière à l'individu. Contrat social rime ici avec aliénation de tous les droits, mais gain d'une sécurité, d'une paix armée, grâce à la soumission au pouvoir central de l'Etat.

Le pacte que constitue le contrat social, est scellé ici par tous les citoyens avec le souverain, qui lui par contre en est exclu. Il ne s'agit pas réellement de la situation idéale pour répondre au problème précédent, dans la mesure où, dans ce cas, le problème de la réciprocité de la reconnaissance des droits n'est pas résolu, puisque d'une part le souverain ne prend pas part au pacte dans la même mesure et avec le même statut que les autres citoyens, et que d'autre part, comme conséquence, ce dernier souverain n'est pas tenu de respecter les anciens droits de ces citoyens, puisque... au lieu d'être le dépositaire temporel de l'autorité de coercition, il en est l'incarnation permanente. La possibilité de passer outre le problème de la réciprocité dans l'articulation pouvoir/droit ne peut se faire que si chacun a le même statut de base, et si chacun garde néanmoins un contrôle sur la structure dépositaire de la garantie des droits.

Or, exempté de faire partie du pacte au même titre que les autres citoyens, et d'autre part, indépendant de leur volonté et de leur consentement, le souverain n'a cure que de reconnaître les droits anciennement aliénés des citoyens.

2) John Locke

C'est l'auteur le plus intéressant des trois dans une perspective libérale, mais je doute que je vous apprenne quelque chose en disant cela.

Dans un premier temps, il admet le primat du droit sur le pouvoir, ceci étant d'ailleurs révélé par le statut idéal, et pacifique de l'état de nature qu'il décrit. Cet état de nature, est implicitement, de son propre aveu, idéal et non réel, car les individus n'auraient aucun intérêt à en sortir, à sortir de cet Eden de respect du Droit naturel. Je précise ici, que contrairement à T.Hobbes, qui n'admet que la lecture réaliste du pouvoir, c'est-à-dire sans préoccupation pour le devoir-être universel, Locke admet au contraire les deux, à la fois l'un comme ce qui est souhaitable, et l'autre, après analyse des mécanismes pragmatiques et réels du pouvoir. La question est de savoir comment concilier ces deux approches, et les deux ordres que sont droit et pouvoir.

Ma réponse est bien entendu l'outil, le concept de "contrat social". A la différence de son aîné, Locke se voit donc obligé d'essayer de subordonner le pouvoir au droit, et pour se faire, il s'agit de régler le problème de la réciprocité de la reconnaissance des droits subjectifs. Cette fois-ci donc, le souverain est parti prenante au même statut que les autres hommes du contrat social, il n'est institué que comme garantie des droits individuels, pour que l'autorité centrale qu'il représente maximise le respect de ces droits, et... ne les viole que dans la mesure du fonctionnement des mécanismes (police, justice) qui permettent la garantie plus grande de ces droits.

Je doute que Locke ne soit pas conscient du fait que l'existence même de l'Etat viole une partie de ces droits individuels, mais il s'agit plutôt alors de maximiser leur respect, que d'abolir leur violation (impossible, par nature).

On peut donc voir ici qu'en fin de compte, le contractualisme de Locke permet de bien de voir l'incompatibilité fondamentale entre le fonctionnement réel du monde et du pouvoir, et l'idéal du devoir-être que représente le droit. Et que leurs relations ne peuvent se concevoir que dans une perspective de maximisation, que permet le contrat social, malgré quelques frais. Pour reprendre l'article de Valentin sur les deux conceptions relatives au minarchisme, je dirai que la conception lockéenne de l'Etat s'inscrit clairement dans la première perspective de la dualité du pouvoir.

Il me reste donc à préciser qu'en tant que partie prenante de ce pacte appelé "contrat social", les individus reconnaissent au souverain une autorité, et qu'en retour, le souverain garantit les droits individuels de tous. Mais, ceci implique également, puisque le souverain contrôle le droit, que les individus contrôle le souverain, via ce que j'ai appelé le rétro-contrôle... en l'occurrence, de la démocratie parlementaire.

3) Jean-Jacques Rousseau

Dernier auteur à étudier chez les trois contractualistes du XVIIIéme siècle, qui s'inscrit de manière peu logique dans l'analyse que je viens de produire. Le reproche que je pourrais simplement adresser à Rousseau est de ne pas voir cette incompatibilité fondamentalement insoluble entre droit et pouvoir, qui ne peut se régler que par des arrangements.

Voulant pousser encore plus loin l'analyse de Locke, il en oublie cette perspective, que l'on peut très bien remarquer quand il écrit par exemple : ""Trouver une forme d'association qui défende et protége de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant" Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution".

Je crois pouvoir dégager que la perspective que Rousseau présente ici est incompatible avec la lecture que j'avais faite du concept de contrat social, tel qu'on pouvait le présenter dans une optique libérale. D'une part, présenter un contrat tel que celui-ci aussi neutre en terme de liberté que cela soit avant le consentement ou après, est évident d'une part une gageure, mais également si on le considère comme tel, ne présente pas le moindre intérêt pour le libertarien ou le libéral lambda. Cette phrase révèle d'ailleurs que droit et pouvoir ne sont pas compris comme incompatibles, ce qui est au fond le comble de l'utopisme ou de l'idéalisme, pour instaurer un consentement vis-à-vis de l'Etat. D'autre part, on peut noter que le principe de réciprocité n'est pas isolé dans cette présentation, et que le rétro-contrôle à exercer n'est plus guère nécessaire puisque les deux situations que sont l'état de nature, et d'autre part, la société civile constituée grâce au contrat social, ne modifie théoriquement pas les rapports de pouvoir ou la liberté de chaque individu. Disons que si la liberté reste identique, et que les structures de droit et de pouvoir ne présentent pas de contradictions majeures, on perd aisément la perspective de l'objet du pacte social ainsi constitué.

On peut dire que Rousseau pêche sciemment par excès d'idéalisme puisqu'il escamote le double danger et objet que vise le contrat social. Et enfin, dernier point, à noter : Rousseau perçoit finalement assez bien les dangers de la démocratie, tout en passant outre le cocktail explosif que constitue la justification idéale et sans réserve d'un type de gouvernement (démocratie), et la reconnaissance que la pratique de ce type de gouvernement ne convient que comme idéal, et n'est in fine pas parfaitement approprié aux fonctionnements basiques humains. Il est à remarquer également, que cet idéalisme dans la conception de la démocratie, même si Rousseau en perçoit les limites lorsqu'il souhaite une démocratie directe, et le moins possible représentative, est la source de bien des ennuis, puisque toute décision majoritaire est, par définition, en vertu d'un holisme surprenant, décision et jugement de la volonté générale. Que la volonté générale soit finalement différente de la décision rendue par la majorité importe peu, puisque par définition, la règle majoritaire est équivalente chez Rousseau à la volonté générale.

V/ Conclusion

Il y a bien donc une double tension entre droit et pouvoir, et qui nécessite pour que le droit règne de la manière la plus importante, et la plus conforme au droit naturel libéral, l'instauration d'un contrat social, concept qui modélise et conditionne la perpétuation du respect du dit droit. Cependant, il implique que tous soient partis prenantes, avec le même statut dans ce contrat, pour sceller le pacte de reconnaissance réciproque des droits, via l'Etat.

Il nécessite un rétro-contrôle des deux statuts des hommes dans une société, à savoir des hommes de l'Etat sur les citoyens via le pouvoir qui garantit le droit, et des citoyens sur les hommes de l'Etat, par un vote, par une décision souveraine. Cela induit la compréhension que droit et pouvoir sont insolubles, et que la situation post-contrat social est fondamentalement différente de la situation précédente. Il est à noter qu'en aucun cas, ce système n'est compatible avec une monarchie, sauf si cette dernière est parlementaire et dispose d'une séparation stricte des pouvoirs. On peut voir donc ici d'un point de vue une double réhabilitation : de l'idée et du concept de contrat social, comme contrat théorique concevant l'articulation entre droit et pouvoir, et du concept de démocratie, mais d'une démocratie non idéalisée comme le fait, Rousseau, mais d'une démocratie prudente, donc les individus sont conscients des limites.