A vrai dire, ce blog est en train de devenir un recueil de commentaires de tracts du Parti Communiste. J’ai essayé de résister à la tentation d’écrire à nouveau sur un tel manifeste, mais celui que j’ai entre les mains est assez significatif pour être remarqué. En sa défaveur et à mon crédit, on peut tout de même estimer que le PCF est particulièrement prolixe et généreux en propagande en tout genre, surtout quand on vit encore dans la petite couronne parisienne, qui a, par endroits, une couleur rouge vif.

Voyons de quoi, il est question. J’avertis cependant, par avance le lecteur contre une réaction épidermique face au discours, certes très conformiste, qui va être commenté dans ce qui suit.

Mais, soumise aux politiques libérales, l’Union européenne est en crise profonde. Crise économique et sociale : le chômage, les délocalisations, la précarité, la pauvreté la minent.

Notons, comme d’habitude, la fâcheuse manière des étatistes à ne pas voir que leurs politiques sont la source de nos malheurs. Le chômage ? L’ultralibéralisme qui règne au Royaume-Uni l’a éradiqué. Les délocalisations ? Et, pourtant ce sont les spécialistes du Tiers-Monde, et les premiers à s’offusquer – à juste titre – de la pauvreté dans les pays en développement, qui vous parlent. Vierges effarouchées, peut-être ? Quant à la pauvreté, on peut supposer que les glorieuses heures de l’URSS, paradis des ouvriers sont déjà bien loin pour les communistes. “The state is the problem, not the solution

Le principe premier de ce traité, inscrit dès le début du texte au titre d’« objectif de l’Union » est « un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » (article I-3-2)

Sauf que… le PCF oublie malencontreusement de citer le reste des objectifs du traité :

  • L'Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples.
  • L'Union oeuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique.
  • Elle combat l'exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l'enfant.

Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres.

Autant de points qui viennent fortement contrebalancer les nécessités de la « concurrence », à la sauce bruxelloise, qui ne saurait jamais menacer le progrès social, ni la qualité de l’environnement, et ne concerne pas la protection sociale, ni les retraites par répartition. Pas de quoi sauter au plafond, même pour des communistes.

La politique économique et monétaire de l’Union, encadrée par les décisions de la Banque centrale européenne « indépendante » de toute intervention publique, vise à la réalisation de ce objectif.

Visiblement l’indépendance de la BCE n’a pas l’air d’être du goût de tout le monde. Une vieille rancune de Maastricht peut-être ? Mais, les banquiers centraux nommés par les ministres des finances sont bien entendu très indépendants – en tout cas, en ce qui concerne la France… Je suppose que les amis des prolétaires voulaient disposer à leur gré de la planche à billet, pour faire une peu d’inflation, et éponger les émoluments. Ce que les prolétaires auraient apprécié puisque cela aurait été un moyen de détruire le Grand Capital. A bon entendeur !

Tout y est soumis : dans cette Constitution, le mot « concurrence » revient 174 fois, le mot « banque » 178 fois, le mot « marché » 78 fois, et le mot « progrès social »… 3 fois !

Après vérification sur le texte officiel publié sur le web, on obtient 41 fois l’occurrence « concurrence », 422 le terme de « banque », principalement pour la BCE, 112 le mot « marché », en majeure partie dans l’expression assez neutre de « marché intérieur », 4 fois celui de « progrès social ». Mais aussi, 29 celle de « discrimination », et autant pour le terme de « solidarité ». Le procédé rhétorique a déjà beaucoup moins de portée, à cette sauce-là.

Qu’en est-il des droits sociaux ? La Constitution ne prévoit pas de clause de non-régression sociale et interdit même toute harmonisation des droits du travail (article III-207). C’est pas le « fonctionnement du par marché » que doit se faire l’harmonisation des systèmes sociaux (article III-209) !

Là encore, la désinformation va bon train ! L’article article III-207 empêche en effet une harmonisation des politiques sociales, ou plutôt empêche une telle harmonisation obligatoire pour tous les pays. Cependant, il ne s’agit là que de la conséquence du statut des politiques sociales dans l’UE : elles relèvent en partie des compétences partagées avec les Etats, ou seulement de la souveraineté unique de ces derniers, suivant les cas. L’interdiction d’une loi-cadre n’est donc que le résultat d’un exercice partagé des pouvoirs… Et si cette souveraineté avait été uniquement attribuée à l’UE, les mêmes personnes auraient crié au risque de politiques « ultra-libérales », et à la perte de souveraineté française… Quant à l’article III-209, il est beaucoup plus nuancé qu’énoncé dans le tract : « (Les Etats) estiment qu'une telle évolution (des politiques sociales) résultera tant du fonctionnement du marché intérieur, qui favorisera l'harmonisation des systèmes sociaux, que des procédures prévues par la Constitution et du rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres. » Encore une fois, la troncature a de beaux jours devant elle.

La flexibilité et la précarité sont expressément encouragés : l’article III-203 invite les Etats membres à « promouvoir une main-d’œuvre susceptible de s’adapter ainsi que des marchés du travail aptes à réagir rapidement à l’évolution de l’économie

Voyons l’énoncé de l’article en question :

L'Union et les États membres s'attachent, conformément à la présente section, à élaborer une stratégie coordonnée pour l'emploi et en particulier à promouvoir une main-d’œuvre qualifiée, formée et susceptible de s'adapter ainsi que des marchés du travail aptes à réagir rapidement à l'évolution de l'économie, en vue d'atteindre les objectifs visés à l'article I-3.

Ceux qui se réclament d’une certaine éthique du discours, qui hurlent à la manipulation des médias, feraient bien de s’appliquer leurs préceptes. La troncature du texte n’est même pas indiquée : non seulement les termes de « qualifiée et formée » sont à ajouter, mais également les évolutions des marchés du travail sont soumises à des prérogatives énoncées précédemment. Rien de très néo-libéral en quête de sang prolétarien, là-dedans.

Qu'en est-il des services publics? Le mot n'y est pas : il est question de "service d'intérêt économique général". Ces entreprises "sont soumises aux règles de la concurrence" (article III-166).

A l’article III-166, on note un oubli fortuit du PCF : « 2. Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de concurrence, dans la mesure où l'application de ces dispositions ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie.. » Vous aviez connu le poulet à la dioxine, voici le tract à forte dose d’intoxication intellectuelle.

La restriction mise en évidence met ici bien à l’abri les dits services publics puisqu’ils disposent à la fois de la caution conjoncturelle et de la caution vis-à-vis du droit positif modifiable à envie.

Qu’en est-il de la démocratie ? Le pouvoir de présenter une loi n’est pas accordé au Parlement européen : il revient à la Commission européenne (article I-26-2)

Le topo institutionnel est un peu plus compliqué. On note en premier lieu que le titre « Parlement européen » devient le premier dans l’ordre des citations des institutions dans le texte constitutionnel, ce qui est en général, en pareils cas, la marque d’une prédominance au moins institutionnelle sur les autres organes. Que dit le Traité à propos du Parlement européen : « Le Parlement européen exerce, conjointement avec le Conseil (des ministres), les fonctions législative et budgétaire. Il exerce des fonctions de contrôle politique, et consultatives conformément aux conditions prévues par la Constitution. Il élit le président de la Commission. » Le Parlement dispose donc de larges pouvoirs, y compris la fonction législative, et budgétaire. Mais le PCF réclame également une possibilité d’être à l’initiative des lois, ce qui est le propre du pouvoir exécutif…que remplit la Commission. Les théories de la séparation des pouvoirs ne doivent pas être à l’ordre du jour des lectures communistes.

Qu’en est-il de la paix ? L’article I-41-3 prévoit que « les Etats membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires ».

Remarquez l’argument fallacieux, puisqu’il n’est même pas besoin de citer le texte pour en apprécier la portée. La paix est en contradiction, d’après ce tract, avec un armement militaire avancé et conséquent : n’est-il pas venu à l’esprit des rédacteurs que l’armement a aussi une dimension dissuasive, et est nécessairement mobilisable en cas de légitime défense ? Bref, cette disposition du TCE n’est nullement signe d’intentions bellicistes, contrairement à ce que le PCF suggère.

L’Otan devient une institution européenne, puisque « les engagements et la coopération en ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sien de l’Otan » (article I-41-7)

Notons que l’Otan n’est pas en ce cas, instituée au niveau européen, en tant que composante de l’Union européenne. Il s’agit juste de rappeler que la politique militaire des Etats membres de l’Otan lui est subordonnée, et l’on voit assez mal comment ses prérogatives pourraient être contredites : le tract insinue qu’un Etat ait la possibilité de jouer une double jeu sur le plan militaire dans l’Union et dans l’Otan. Cela ne paraît guère sérieux, et d’ailleurs le traité n’empêche pas que les Etats se retirent de l’Otan, si besoin est. Il s’agit ici juste un constat des réalités de la politique militaire européenne, et particulièrement concernant les ex-pays communistes, qui ont des liens privilégiés avec l’Otan, du fait – entre autres – de la plus grande réactivité et enthousiasme américain envers ses Etats, au sortir de la Guerre froide.

En conclusion, on voit bien qu’aucun des arguments énoncés par le PCF n’est réellement consistant, et qu’ils reposent d’avantage sur des procédés rhétoriques éhontés, et de l’intoxication intellectuelle, plutôt que sur des raisonnements solides. Le commentaire de ce tract a été pour moi, l’occasion de me replonger dans le texte du dit traité, et je dois vous avouer qu’à force de le relire, je me questionne de plus en plus sur les motivations qui poussent les parties d’extrême-gauche et une partie du PS à vouloir le refuser.

Cela reste un mystère puisque le but précis du TCE est d’instituer un changement de paradigme, pour arriver à l’Europe « politique » tant réclamée, en lieu et place d’une Europe « des marchés ». Le texte apporte des garanties, comme jamais, à l’interventionnisme d’Etat, et pourtant beaucoup continuent à y être fortement rétifs. Peut-être est-ce l’impossibilité à s’extirper de certains rhétoriques bien pratiques sur les « marchés financiers » et le Grand Capital, ou la marque d’un nationalisme mal assumé ? En tout cas, le PCF comme LO, la LCR et l’aile gauche du PS n’ont pas fait leur Bad Godesberg !